Poèmes de Eric Portalez

L'envie des vies
J'envie ceux qui d'amour peuvent une nuit s'en aller sans retour.
Partir où bon leur semble, juste pour voir autour,
Derrière le voile des songes, au delà des mensonges.
Cueillir le bien, le mal, effeuiller la vertue,
Pour goûter au nectar du fruit si défendu.

La saveur du sel sauvage perlant sur une langue,
Le goût vulcain du page qui s'étend au soleil,
La bouche grande ouverte pour écumer le miel,
Le bruit du vent dans la voilure du bateau qui tangue,
Les filles rubicondes aux robes étincelantes,
Les brindilles dorées qui volent au dessus des chaumières,
Les fleurs fânées par un orage, trempées sous ses trombes d'eau,
Les pétales inclinées, la nuque brisée, courbent le dos,
En une révérene mortuaire qui dégoute de lumière,
La beauté seule, ivre de toute morale,
Nourrit leur âme, à ces amants d'Eden.
Elle galvanise leur sang,
Fait bouillir leurs ossements,
Les drape de feuilles de chêne,
De sarments, et de lierre rampant
Elle les pousse au devant,
A exuder la vie,
A embrasser la mort,
A crier leur envie
De tout sentir plus fort.

Mais à l'envie succède le chagrin,
Celui, triste et lucide, qui pleure sur un refrain
Autant austère que terne car il ne peut plus rien
Pour ces amants d'un jour
Qui viennent de convoler,
Pour ces reines aux atours,
A jamais envolés,
Pour ces fils de Dieu,
Qui l'ont rejoint trop tôt.

Je sais, que la sagesse n'est rien
Sans idée du vécu,
Mais d'avoir trop vécu
Vous prend tout et ne vous laisse rien.

Comme un lac de montagne.
Des arcs-en-ciel nacrés irisent l'écume blanche sucrée
Des vagues arc-boutées qui roulent dans leur houle.
Ils nimbent de couleur tapis de neige ouatés,
Survolent combes et vallons, émerveillent la foule
Qui dessous les contemple d'un oeil d'enfant sauvage.

Les roseaux argentés tremblotent sur le lac.
Ils vibrent à l'unisson des scarabées nocturnes.
Leurs tiges immergées s'agitent sous la lune,
Elles rident la surface qui, paisible hamac,
Dormait, lisse et réveuse, comme un illustre mage.

Sonorités
Sept dryades lascives gémissent dans l'air aride.
Une torpeur torride plane sur la forêt qui se tord et se ride.
Dame nature pleure, mais ses larmes sont sèches.
En haut, le ciel gris, lourd d'eau, la contemple, mais nulle goutte ne lâche.
En bas, l'ours gris sur le dos, le contemple, mais nulle goutte ne le tâche.
Dame nature se meurt, la gorge et les yeux rêches.

Eole entend-il ta complainte, triste fée verte
Ou rit-il de ta plainte et nulle aide ne te prête ?
Le sol se gondole, se craquèle puis se tait,
L'herbe folle se fendille et jaunit sous l'été.

Plus loin, la mer se refuse à céder de son sang.
Elle ondule dans l'air calme, pulse lentement,
Lèche le rivage humide et se gausse des sylves.
Les mouettes crient, les poissons périssent.
Le phare dans sa crique se farde de sable
Le guetteur dans son phare se met enfin à table.