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Nerval, l'Orient et les femmes

 
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Dee
Ecrivain


Inscrit le: 10 Mai 2007
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MessagePosté le: Mer Juin 11, 2008 9:43 am    Sujet du message: Nerval, l'Orient et les femmes Répondre en citant

  Voici quelques extraits du Voyage en Orient de Gerard de Nerval qui m'ont interpellée et dont j'avais envie de partager la lecture.
  J'ai capturé trois extraits qui donnent une impression des différences culturelles entre Occident et Orient mais dans le point de vue particulier que les hommes ont des femmes.
  Les deux premiers extraits sont des impressions rendues par Nerval à propos des femmes orientales. Le dernier est l'impression rapporté d'un Oriental à propos des femmes occidentales.
  L'intérêt, au-delà du côté anthropologique, est aussi de voir le ton assez politiquement incorrect, mine de rien, de Nerval et de son temps où l'on acceptait qu'avoir des moeurs différentes puisse choquer mais où la politesse voulait qu'on prenne sur soi. Vision de la femme choquante aussi pour les parties opposées tout en évoquant ce que cela peut avoir d'émoustillant même pour l'Oriental critique qui pourrait, malgré sa bile, éveiller l'intérêt involontaire de ses correligionnaires.
  Enfin je ne sais pas si cela se voit particulièrement dans ces extraits mais en parcourant ce début d'ouvrage j'ai noté l'usage, je suppose propre au XIXe siècle (ce sera l'objet de mes prochain(e)s révisions/auteurs), de la phrase longue et de la virgule qui donne un style particulier et charmeur, antérieur et différent de Proust et de ses conséquences sur nos styles contemporains.
  Promis j'arrête là le commentaire. J'ai mes chances pour l'oral vous croyez ? :p
  
  
  Extrait n°1 :
  
  Parmi les riches costumes arabes et turcs que la réforme épargne, l'habit mystérieux des femmes donne à la foule qui remplit les rues l'aspect joyeux d'un bal masqué ; la teinte des dominos varie seulement du bleu au noir. Les grandes dames voilent leur taille sous le habbarah de taffetas léger, tandis que les femmes du peuple se drapent gracieusement dans une simple tunique bleue de laine ou de coton (khamiss), comme des statues antiques.
  L'imagination trouve son compte à cet incognito des visages féminins, qui ne s'étend pas à tous leurs charmes. De belles mains ornées de bagues talismaniques et de bracelets d'argent, quelque-fois des bras de marbre pâle s'échappant tout entiers de leurs larges manches relevées au-dessus de l'épaule, des pieds nus chargés d'anneaux que la babouche abandonne à chaque pas, et dont les chevilles résonnent d'un bruit argentin, voilà ce qu'il est permis d'admirer, de deviner, de surprendre, sans que la foule s'en inquiète ou que la femme elle-même semble le remarquer. Parfois les plis flottants du voile quadrillé de blanc et de bleu qui couvre la tête et les épaules se dérangent un peu, et l'éclaircie qui se manifeste entre ce vêtement et le masque allongé qu'on appelle borghot laisse voir une tempe gracieuse où des cheveux bruns se tortillent en boucles serrées, comme dans les buste de Cléopâtre, une oreille petite et ferme secouant sur le col et la joue des grappes de sequins d'or ou quelque plaque ouvragée de turquoises et de filigrane d'argent. Alors on sent le besoin d'interroger les yeux de l'Egyptienne voilée, et c'est là le plus dangereux. Le masque est composé d'une pièce de crin noir étroite et longue qui descend de la tête aux pieds, et qui est percée de deux trous comme la cagoule d'un pénitent ; quelques annelets brillants sont enfilés dans l'intervalle qui joint le front à la barbe du masque, et c'est derrière ce rempart que des yeux ardents vous attendent, armés de toutes les séductions qu'ils peuvent emprunter à l'art. Le sourcil, l'orbite de l'oeil, la paupière même, en dedans des cils, sont avivés par la teinture, et il est impossible de mieux faire valoir le peu de sa personne qu'une femme a le droit de faire voir ici.
  Je n'avais pas compris tout d'abord ce qu'a d'attrayant ce mystère dont s'enveloppe la plus intéressante moitié du peuple d'Orient ; mais quelques jours ont suffi pour m'apprendre qu'une femme qui se sent remarquée trouve généralement le moyen de se laisser voir, si elle est belle. Celles qui ne le sont pas savent mieux maintenir leurs voiles, et l'on ne peut leur en vouloir. C'est bien là le pays des rêves et de l'illusion ! La laideur est cachée comme un crime, et l'on peut toujours entrevoir quelque chose de ce qui est forme, grâce, jeunesse et beauté.

  
  Extrait n°2 :
  
  Je suis rentré tout ému de cette scène nocturne. Voilà, ce me semble, un peuple pour qui le mariage est une grande chose, et, bien que les détails de celui-là indiquassent quelque aisance chez les époux, il est certain que les pauvres gens eux-mêmes se marient avec presque autant d'éclat et de bruit. Ils n'ont pas à payer les musiciens, les bouffons et les danseurs, qui sont leurs amis, ou qui font des quêtes dans la foule. Les costumes, on les leur prête ; chaque assistant tient à la main sa bougie ou son flambeau, et le diadème de l'épouse n'est pas moins chargé de diamants et de rubis que celui de la fille d'un pacha. Où chercher ailleurs une égalité plus réelle ? Cette jeune Egyptienne, qui n'est peut-être ni belle sous son voile ni riche sous ses diamants, a son jour de gloire où elle s'avance radieuse à travers la ville qui l'admire et lui fait cortège, étalant la pourpre et les joyaux d'une reine, mais inconnue à tous, et mystérieuse sous son voile comme l'antique déesse du Nil. Un seul homme aura le secret de cette beauté ou de cette grâce ignorée ; un seul peut tout le jour poursuivre en paix son idéal et se croire le favori d'une sultane ou d'une fée ; le désappointement même laisse à couvert son amour-propre ; et d'ailleurs tout homme n'a-t-il pas le droit, dans cet heureux pays, de renouveler plus d'une fois cette journée de triomphe et d'illusion ?
  
  Extrait n°3 :
  
  «Vous savez, observai-je timidement, que dans ma religion l'on ne peut épouser qu'une femme, et il faut ensuite la garder toujours, de sorte qu'ordinairement l'on prend le temps de réfléchir, on veut choisir le mieux possible.
  - Ah ! Je ne parle pas, dit-il en se frappant le front, de vos femmes roumis (européennes), elles sont à tout le monde et non à vous ; ces pauvres folles créatures montrent leur visage entièrement nu, non seulement à qui veut le voir, mais à qui ne le voudrait pas... Imaginez-vous, ajouta-t-il en pouffant de rire et se tournant vers d'autres Turcs qui écoutaient, que toutes, dans les rues, me regardaient avec les yeux de la passion, et quelques-une même poussaient l'impudeur jusqu'à vouloir m'embrasser. »
  Voyant les auditeurs scandalisés au dernier point, je crus devoir leur dire, pour l'honneur des Européennes, que Soliman-Aga confondait sans doute l'empressement intéressé de certaines femmes avec la curiosité honnête du plus grand nombre.
  « Encore, ajoutait Soliman-Aga, sans répondre à mon observation, qui parut seulement dictée par l'amour-propre national, si ces belles méritaient qu'un croyant leur permit de baiser sa main ! Mais ce sont des plantes d'hiver, sans couleur et sans goût, des figures maladives que la famine tourmente, car elles mangent à peine, et leur corps tiendrait entre mes mains. Quant à les épouser, c'est autre chose ; elles ont été élevées si mal, que ce seraient la guerre et le malheur dans la maison. Chez nous, les femmes vivent ensemble et les hommes ensemble, c'est le moyen d'avoir partout la tranquillité.
  - Mais ne vivez-vous pas, dis-je, au milieu de vos femmes dans vos harems ?
  - Dieu puissant ! S'écria-t-il, qui n'aurait la tête cassée de leur babil ? Ne voyez-vous pas qu'ici les hommes qui n'ont rien à faire passent leur temps à la promenade, au bain, au café, à la mosquée, ou dans les audiences, ou dans les visites qu'on se fait l'un à l'autre ? N'est-il pas plus agréable de causer avec des amis, d'écouter des histoires et des poèmes, ou de fumer en rêvant, que de parler à des femmes préoccupées d'intérêts grossiers, de toilette ou de médisance ?
  - Mais vous supportez cela nécessairement aux heures où vous prenez vos repas avec elles.
  - Nullement. Elles mangent ensemble ou séparément à leur choix, et nous tout seuls, ou avec nos parents et nos amis. Ce n'est pas qu'un petit nombre de fidèles n'en agissent autrement, mais ils sont mal vus et mènent une vie lâche et inutile. La compagnie des femmes rend l'homme avide, égoïste et cruel ; elle détruit la fraternité, et la charité entre nous ; elle cause les querelles, les injustices et la tyrannie. Que chacun vive avec ses semblables ! C'est assez que le maître, à l'heure de la sieste, ou quand il rentre le soir dans son logis, trouve pour le recevoir des visages souriants, d'aimables formes richement parées,... et, si des almées qu'on fait venir dansent et chantent devant lui, alors il peut rêver le paradis d'avance et se croire au troisième ciel, où sont les véritables beautés pures et sans tache, celles qui seront seules dignes d'êtres les épouses éternelles des vrais croyants. »
  Est-ce là l'opinion de tous les musulmans ou d'un certain nombre d'entre eux ? On doit y voir peut-être moins le mépris de la femme qu'un certain reste du platonisme antique, qui élève l'amour pur au-dessus des objets périssables. La femme adorée n'est elle-même que le fantôme abstrait, que l'image incomplète d'une femme divine, fiancée au croyant de toute éternité.

  
  Dernier commentaire enfin (si si promis). Dans le dernier passage Soliman-Aga utilise le terme de "roumis" pour désigner les européennes. Ce terme ma grand-mère m'en avait déjà parlé puisque c'est ainsi que mon arrière-grand-mère la désignait. Quand mon grand-père l'a amenée au bled dans les montagnes de l'Oranais, sa mère lui a demandé pourquoi il avait choisi une roumi.
  J'en parlai un autre jour avec une amie qui fréquente un Syrien et qui a fait quelques séjours dans ce pays. Elle me répondit que d'après ce qu'elle savait cela voulait dire pu**. Blême je m'empêchai de lui faire ravaler ces mots, ne supportant pas l'idée que mon aïeule (qui avait élevé un homme très attaché à l'honneur) ait pu désigner ainsi ma grand-mère (la femme la plus douce que je connaisse). Sur le moment j'arguais d'un glissement sémantique qui avait dû amalgamer les deux termes.
  Cet extrait justifie ma réflexion d'alors. Ce terme n'est une insulte que dans la bouche de ceux qui nous calomnient, nous femmes occidentales, par ignorance et décalage culturel. Je doute que Nerval aurait placé ce terme dans la bouche de Soliman-Aga s'il avait fait insulte aux femmes qui lui étaient chères, surtout à une époque où ce genre de saillie verbale risquait d'engendrer une réponse par les armes.


Dernière édition par Dee le Mer Juin 11, 2008 10:30 am; édité 3 fois
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Dee
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MessagePosté le: Mer Juin 11, 2008 9:48 am    Sujet du message: Répondre en citant

  Petit paragraphe que m'a inspiré le début du Voyage en Orient :
  
  Measure among foreign culture
  
  Au milieu d'une foule bruissant et tourbillonnante aux couleurs criardes d'or et de sang glissait une silhouette fantomatique. L'allure sobre de mon compagnon lui donnait l'allure d'un ange vengeur parmi les dévoyés. Musique, cris et senteurs me faisaient tourner la tête et les sens, hurler mon âme et ma raison. Si ma jeunesse détournait depuis quelques temps déjà mes pensées vers des tourments impies, l'assemblée qui se livrait sous mes yeux à des exultations naïves me donnait l'impression d'être l'agneau de Dieu approchant de la broche de Sodome et Gomorrhe. Mon regard s'accrocha à la silhouette rassurante et je tentai de la rejoindre. Je remarquai alors son expression sereine et aimable. Cet homme aux habitudes irréprochables, qui inspiraient la morale de nos contrées et dont l'exemple suffisait à inspirer la pénitence chez mes compatriotes, souffrait impassiblement l'exubérance de ces étrangers. A la femme chargée d'anneaux dorés qui lui apportait une coupe pour se rafraîchir et lui sourit sans ambages, il adressa un salut respectueux dont une reine n'aurait pas été embarrassée.
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